Textes
Claude d’Anthenaise,
conservateur et directeur du Musée de la Chasse et de la Nature,
in Revue Billebaude n° 16 : L’Art du leurre- 2020- p 56 - 2020
Jean-Marc Barroso
commissaire d’exposition
(catalogue) exposition Abbaye de Jumièges, (FR)) - 2019
Anne Kerner, critique d’art Aïca
à l’occasion de l’exposition au château de Champ-sur-Marne - 2017
Anne-Laure Saint-Clair
L’art à l’orée du bois (catalogue)/Musée Dubois-Corneau ; Brunoy(FR) - 2009
Pierre-Évariste Douaire,
Critique d’art et commissaire d’exposition
Paysage de Fantaisies, Galerie A. le Gaillard, Paris (FR) - 2008
critique d’art
catalogue exposition : Marijke Schreurs gallery, Bruxelles (B) - 2007
Philippe Coubetergues, Critique Aïca
Exposition Les Hauts reliefs ; Galerie A. le Gaillard, Paris - 2006
0livier Kaeppelin
(catalogue Les Environnementales 3), Parc de Tecomah-HEC ; Jouy-en-Josas (FR) - 2004
Paul-Hervé Parsy
administrateur du château d’Oiron
catalogue Ed. du patrimoine, château d’Oiron (FR - 2004
Diane Watteau
Une certaine idée du bonheur, une « folie »1 de Jean-Luc Bichaud - à propos de Spectre, Jouy-enJosas (FR) - 2003
Frank Lamy,
critique et commissaire d’expositions, chargé des expositions temporaires au Mac/Val, à Vitry-sur-Seine
Catalogue CAC Istres) (FR) - 2001
Danièle Yvergniaux,
catalogue exposition galerie municipale E. Manet, Gennevilliers (FR)
Morten Salling
Morten Salling-historien d’art, directeur de la culture au Conseil général de Seine St-Denis
catalogue Art Grandeur Nature « Animaleries »,Parc de la Courneuve (FR)
Philippe Coubetergues, Critique Aïca
À découvert, Galerie Alain Le Gaillard (FR) - septembre 2000
Eric Suchère, Critique Aïca
Jean-Luc Bichaud, le parasite
Exposition au Museum d’histoire naturelle de Bourges (FR) - 1997
Claude d’Anthenaise
conservateur et directeur du Musée de la Chasse et de la Nature,
in Revue Billebaude n° 16 : L’Art du leurre- 2020- p 56
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Occupation
Présentée à la Sainte-Chapelle du château de Vincennes en 2011 lors de l’exposition « Monuments et animaux », l’installation de Jean-luc Bichaud rassemble une armée d’appelants de vanneaux huppés disposés au cordeau de l’entrée du monument jusqu’aux marches de l’autel. Leurs couleurs naturelles- noir, blanc et vert- ont été réorganisées selon un motif évoquant le camouflage militaire.
Ancienne résidence royale, le site du château de Vincennes abrite désormais le Service historique des armées de terre, de l’air et de la marine ; c’est un territoire militaire, exception faite du donjon et de la chapelle du château qui dépendent des Monuments historiques. Les escadrons ainsi postés transforment, par leur présence incongrue, cet édifice historique et sacré où les animaux n’ont habituellement pas leur place, en un lieu de garnison aviaire.
Le vanneau huppé, petit oiseau migrateur à la joue blanche barrée de noir, portant une longue huppe noire, un plastron noir et un ventre blanc, apprécie les milieux humides.
Les chasseurs utilisent parfois de faux oiseaux, dits « appelants » pour attirer ces oiseaux grégaires. Posés sur leurs pattes ou fichés au sol par une baguette, ils leurrent leurs congénères vivants. Jean-Luc Bichaud avait déjà détourné les techniques du leurre pour son Cabinet des appeaux, qui trompe non des oiseaux mais les visiteurs du musée de la Chasse et de la Nature en présentant une série de faux appeaux créés à partir d’objets domestiques improbables ( Souffler n’est pas jouer, 2006).
Ici, l’accumulation de quelques 2000 appelants en plastique, made in China, et l’inutilité de leur camouflage dans cette architecture minérale, renforcent l’artificialité de ces leurres. Ils rappellent ainsi le lien intrinsèque entre l’étude des couleurs et motifs de livrées animales, destinées à les dissimuler dans leur environnement, et l’invention du camouflage militaire au XXème siècle.
Jean-Marc Barroso
(catalogue) exposition Abbaye de Jumièges, (FR) - 2019
Les miracles amusés
Dans le parc de l’abbaye de Jumièges, Jean-Luc Bichaud pratique le miracle. Et le promeneur de se surprendre déridé, réjoui, de poésie d’abord. Promeneur pris au piège d’un éclat visuel, d’une empreinte iconographique assurée, d’un état de surprise, ensuite de sensualité, puis de sens. Trois passages obligés. Il est vrai que Jean-luc Bichaud fait volontiers voler les poissons rouges, pousser des crayons de couleur, teinter des fleurs par perfusion, greffer des fauteuils...La greffe et la culture hors-sol animent les installations rigoureuses de l’artiste, œuvres qui évoluent dans une frontalité, voire une acerbité, cependant discrète, quasi heureuse, candide, avec une nature parcimonieusement sélectionnée. Le propos: créer de la nature, déclare-t-il. Et ainsi de nous déplacer en poésie, devant l’œuvre,et dans le souvenir de l’œuvre car, captieusement, elle questionne.Les calembours des mots, mais aussi des choses et des idées, respectueusement toujours chez Jean-Luc Bichaud, sont là pour agiter, voire bouleverser, l’imagination, et la conscience. Une question émerge: la dimension surréaliste des œuvres en présence ne répond-elle pas aux défis d’une époque et d’un lieu, pour reprendre les termes de Gaëtan Picou à propos du mouvement surréaliste. Ici, Jumièges, son abbaye, plus le monde contemporain quand il irrite et menace.La Suée du Parc. Le prodige est dans le pré: le hêtre pourpre monumental et souverain, à la limite Nord du parc, transpire. Le hêtre pourpre, entre le Logis abbatial et l’abbaye, somptueux, libère de minuscules gouttes qui volètent, nuage improbable sous sa frondaison. A intervalles réguliers, tout en brume. Avec autorité. Avec élégance. Monstrueux et féérique à la fois. Les particules humides sont censées être recueillies dans une jolie ronde de seaux installés au pied de l’arbre. Les propriétaires des seaux viendront-ils récupérer l’eau à l’instar des aborigènes Guanches de l’île d’El Hierro, dans l’archipel des Canaries, qui se fournissaient en précieux liquide au pied de l’arbre Garoé, l’«arbre saint», bénéficiant sans le savoir de la condensation des brouillards maritimes sur les feuilles vernissées du mystérieux arbre fontaine.L’abbaye de Jumièges vaut bien un miracle. Haut lieu de la spiritualité à travers les siècles, l’artiste y déploie un phénomène subtil, onirique. La surprise est divine. Notre magicien opère une puissante poésie, ainsi faisant, toutes les quinze minutes temps scandé par l’eau d’un nuage, comme le fut le temps monacal avce le tintement des cloches et les paroles sans cesse répétées, oraisons pour une transformation de la pensée. Cela grâce à un simple système de brumisation installé dans les branches.Jean-Luc Bichaud, modeste mage? Le plasticien méticuleux n’est –il pas thaumaturge, à mettre l’eau «ensuspension», «en suspens», à l’heure où notre planète tente en vain de panser ses plaies aquatiques. L’anthropocène est là qui gaspille et pollue toutes les eaux. Les contemporains aisés s’interrogeront sur l’eau qui nous est donnée. Le miracle est –il nécessaire, afin de rendre à l’eau sa valeur, sa splendeur. Et notre arbre épuisé, tout suant qu’il est à produire encore et encore le miracle de l’eau nécessaire, l’arbre passeur d’un message crucial sous la croix voisine. A chacun son Golgotha. La poésie de l’écosystème artificiel diffusé par La Suée du Parc est un miracle à ne pas bannir, puisqu’en définitive, il nous éclaire, il signifie, en mouillant notre chemise. Après tout, le miracle peut également faire office de châtiment. Que nous aurons bien cherché. Une tape humide sur le dos, cette suée, en somme, pour chasser nos démons.Tel un surréaliste, Jean-Luc Bichaud répond ici à un défi de notre époque avec une audace opportune: le lieu Jumièges, symbolique, majeur, autorise, oblige, une interrogation sur l’époque contemporaine.La rigueur technique dont fait preuve l’artiste permet l’efficacité et l’effacement, une priorité pour Jean-Luc Bichaud. Le dispositif installé avec la Suée du Parc développe le continuum artistiquede l’artiste qui s’empare de la nature végétale pour lui faire jouer un rôle improbable, tendrement époustouflant, s’il n’est pas irrévérencieux. A l’instar du critique Teriade, nous dirons que Jean-Luc Bichaud excelle dans sa «recherche poétique d’une réalité inexprimée». Une métamorphose du végétal qui trouve toute sa place dans le parc de l’abbaye de Jumièges.
Anne KERNER
critique d’art Aïca
à l’occasion de l’exposition au château de Champ-sur-Marne- 2017
Cela fait plus de 20 ans que l’on suit avec attention l’œuvre
merveilleusement subtile de Jean-Luc Bichaud. Il dévoilait ses œuvres inoubliables comme un gigantesque réseau de tubes en verre où nageaient des poissons rouges à La Villette. Il réalisait comme toujours des installations de fleurs qu’il « empoisonnait » d’encre et leur mort se terminait en véritable apothéose de couleurs. L’artiste joue avec autant de respect que de splendeur avec la nature qu’il travaille en apprenti sorcier. Et il croise les gestes du plasticien et celui de l’horticulteur pour inventer des œuvres savantes de bois, de terre, d’air, d’eau, de végétaux
et d’animaux. Naissent des installations ou plutôt des rencontres improbables et sublimes entre différents univers pour créer
une autre « nature », la sienne, symbiose unique et splendide et dont l’œil ne peut se détacher. Une œuvre qui depuis les années 90 se concentre sur la nature. Un travail précurseur.
Anne-Laure Saint-Clair
L’art à l’orée du bois (catalogue)/Musée Dubois-Corneau ;
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Le bal décisif
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Fille d’une sangsue et sangsue elle-même,
Poisson, d’une arrogance extrême,
Etale en ce château sans crainte et sans effroi
La substance du peuple et la honte du roi (1) .
Inspirée du dessin de Charles-Henri Cochin Le Jeune (1715-1786) - décoration du bal masqué donné par le roi dans la grande galerie du château de Versailles à l’occasion du mariage de Louis, dauphin de France, avec Marie-Thérèse, infante d’Espagne, la nuit du 25 au 26 février 1745 - l’installation de Jean-Luc Bichaud fait écho au célèbre «Bal des ifs», dans une mise en scène décalée où les protagonistes de premier rang, Louis XV et Madame d’Etiolles, future marquise de Pompadour, apparaissent sous des formes incongrues. Louis XV revêt l’allure d’un if, accompagné de cinq semblables, alors que Madame d’Etiolles, costumée en bergère, se fond parmi les jolies femmes qui entourent le monarque. Cet if timide, contant fleurette à une ravissante personne, est une allusion certaine à l’idylle naissante entre le souverain et la belle chasseresse récemment rencontrée en forêt de Sénart. Calembour visuel, le bal décisif, orchestré par Jean-Luc Bichaud convie avec humour six ifs, un fauteuil bergère et quelques poissons rouges nageant en eau trouble, dont la présence rappelle subtilement les origines roturières de la maîtresse royale, née Jeanne-Antoinette Poisson, dont l’ascension fulgurante donna lieu à de nombreuses «poissonnades». Jean-Luc Bichaud s’inspire et joue du lieu qu’il investit, recouvrant la bergère d’une tapisserie aux motifs floraux agrémentés de nœuds, en élégante résonnance aux moulures et boiseries du petit salon. La guirlande de roses ornant le trumeau pourrait alors évoquer les rubans de fleurs qu’aimait porter Madame de Pompadou.
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1: Extrait du pamphlet de Bernard Marie Jules, comte de Résséguier ( 1788-1862), poète français emprisonné à Pierre-Ancise pour ses vers contre Mme de Pompadour
Pierre-Évariste Douaire
critique d’art et commissaire d’exposition
Paysage de Fantaisies, Galerie A. le Gaillard, Paris (FR) - 2008
Paysage de fantaisies est un chemin de câbles qui, descendant du plafond et serpentant dans l’espace, fait pleuvoir un nuage dans la galerie. Cette route de l’eau tisse une toile faite de tuyaux et de goutte-à-goutte. Système en vase clos tout autant absurde que merveilleux.
Jean-Luc Bichaud présente sept jardins suspendus. Ces bassins, alimentés en eau, sont des plateaux noirs tenus par des fils. Un alambic de tubes à essais s’entortille au dessus de ces paysages montagneux. Il laisse perler une pluie au compte goutte. L’enchevêtrement des fils distille une eau déminéralisée fonctionnant en circuit fermé. L’espace est colonisé par ces plateformes mates et aériennes, au dessus desquelles flotte un imbroglio de tuyaux de jardinerie transparents, de raccords, de dérivateurs et de goutte-à-gouttes oranges. Ce déversement embrouillé mais organisé, dévale du plafond et s’invite en haut de ces reliefs modélisés. Cet écosystème ressemble à une maquette indiquant les courbes de niveau géologique. Sa forme modélisée contraste avec sa portée poétique et évocatrice.
Tout cet imbroglio n’a qu’un seul but au départ, celui de créer un nuage artificiel. La pelote de tuyaux embrouillés, catalyseur et échangeur d’atmosphère, est une machinerie contemplative et onirique. Le nuage est un pipeline relié par des lianes en fil de pêche, il alimente un circuit fonctionnant grâce à une pompe d’aquarium. La main de l’artiste dispose des éléments préfabriqués, il leur insuffle de la vie et les transforme en œuvre d’art. Une simple bassine de jardin à l’envers, un moteur d’aquariophilie, du fil transparent, des tuyaux d’arrosages, des goutte-à-gouttes, sont assemblés pour créer une installation rivalisant avec les plus belles peintures chinoises plongées dans des brumes épaisses.
Curieusement l’aspect absurde de l’installation est la pierre angulaire de la proposition initiales. De l’aveu même de l’artiste, ce «Paysage de fantaisies» est “une machine à produire de l’absurde”. Ce n’est pas par hasard si l’on retrouve encore une fois, ce mouvement giratoire clos sur lui même. Chez Jean-Luc Bichaud la circulation est toujours synonyme d’impasse, que ce soit physiquement ou mentalement. Ces sept Jardins de Babylone rejouent l’aliénation du Jardin de propreté (2003), où un paillasson végétal, labyrinthique et géant encerclait le rond point de la cour central de la Cité universitaire de Paris. Mais ici, contrairement aux travaux précédents, la pièce propose des pistes de lecture dépassant le vertige des déambulations carcérales. Le nuage est autant une forme qu’un postulat. Contrairement aux cages de verre des Aquariums, ou au labyrinthe végétal, il flotte dans l’espace d’exposition et tournoie à l’intérieur de sa propre robinetterie. Il parvient à proposer une promenade plus libre et un peu moins dirigée, profitons-en, l’échappée est belle.
La route de l’eau empreinte une route de la soie. La toile se tisse et laisse goutter les larmes d’eau dans un bassin de rétention transformé en crachoir. Ploc. Ploc. Ploc. Ploc… Supplice chinois ou paysage chinois? Hybridation arachnéenne autant qu’hydraulique, le nuage se répand en se concentrant. Cette proposition nodale fait la part belle à ces montagnes russes qui dégringolent les unes sur les autres. Les échangeurs se changent en bretelles, ils aiguillent l’eau, la filtre et la stérilise. Le paysage est un grand manège paradoxalement éteint. Étonnamment sec, dénué de tout terreau, de tout avenir, il tourne à vide dans une eau stérile. Il interdit toute forme de vie, au mieux, ici ou là se forme de la mousse à cause des remous, aquatique il est paradoxalement lunaire et désertique.
La fantaisie indiquée dans le titre joue pourtant pleinement son rôle et participe à l’émerveillement général. Loin du modèle philosophique décrit par Hubert Damisch, le nuage que modélise Bichaud est avant tout synonyme de transformation. Élément d’étonnement, de conquête et de séduction, il est à l’image de Zeus. Le roi de l’Olympe n’hésite pas à se parer d’un petit cumulus pour étreindre la belle Io. L’exposition montre une esthétique du tube à essai fabriquant des rêves en forme de rébus, c’est tout ce programme qu’il faut suivre à la trace pour apprécier le spectacle et démêler le nœud de la proposition.
critique d’art
catalogue exposition : Marijke Schreurs gallery, Bruxelles (B) - 2007
Jean-Luc Bichaud poursuit, avec un amusement non dénué de gravité, la tradition française des jardins, tout en intensifiant leur artificialité. La dichotomie est intrinsèque à la botanique et le jardin s’avère, avant tout, lieu de culture. Depuis quelques temps déjà, des gestes qu’il s’est appropriés, de la greffe, de la bouture, il a créé des espèces mutantes et des arrangements horticoles improbables : rosiers avec pousses de crayons de couleur, plantes suspendues aux racines synthétiques transparentes, plates -bandes en tapis-brosse; il cultive des éponges sous serre, fait voler les poissons rouges dans les ramures. Du travail d’horticulteur, il est passé à la conception de jardins paysagers, dans la logique du processus d’hybridation, qui répond à un besoin de contrôler et la nature et la représentation. Leur développement, au XVIIIème siècle, manifestait en effet le désir de construire des images; ils se faisaient le support à d’imaginaires voyages dans le temps et dans l’espace. Les fabriques-tempietto antique, pagode chinoise, ruine gothique..., les bassins, par leur faculté spéculaire, les découpes murales devant un panorama ou encore les peintures disposées au détour des sentiers, tout l’aménagement concourrait à pré-fabriquer du paysage-de la nature cadrée et regardée-pour le promeneur.Le pavillon de Jean-Luc Bichaud, Spectre, évoque, tout comme la ruine, le temps qui passe, mais il se manifeste ici dans son déroulement réel et inéluctable. Les murs intérieurs sont tapissés de fleurs coupées, toutes blanches, isolées dans des éprouvettes remplies de solutions qui déclinent les couleurs de l’arc-en-ciel et qui peu à peu influencent la teinte des pétales. Le titre renvoie aux états colorés de l’installation, la pâleur initiale des fleurs et les tonalités du spectre lumineux après absorption de l’encre, à l’idée de mort, mais ne pourrait-il suggéreraussi le souvenirvivant des «folies» anciennes?La relation extérieur/intérieur est matérialisée par un paillasson comme il se doit. Il reproduit un motif emprunté à une tradition antérieure, celle du jardin à la française, et s’inscrit donc dans un dialogue avec l’architecture, une préoccupation récurrente dans le travail de l’artiste. Un aquarium tubulaire suspendu souligne les irrégularités de l’espace construit. L’aspect volatile des poissons est accentué par leur passage sporadique dans une volière haut perchée. Le dispositif s’orne de bassins traités avec un même sens du décalage humoristique. Ils’agit de piscines miniatures sur lesquelles flottent d’étranges cactées aquatiques, maintenues par des bouées gonflables.Le jeu n’est pas si innocent, une dangerosité latente sourd de l’association du fragile et du pointu. L’inquiétude est avivée par une frise multicolore de flotteurs, très décorative pourtant, mais dont le tracé reprend celui de la propagation d’un tsunami.Travailler avec la nature ne relève plus seulement de la poésie mais implique nécessairement une réflexion sur la relation que l’homme entretient avec son environnement et la domestication forcenée des ressources de la planète.Si le jardin renvoie habituellement à la nostalgie du paradis perdu, c’est sans prétention ni romantisme que Jean-Luc Bichaud se fait le démiurge d’une recréation, amusée mais lucideet qui n’aurait pas commencé par séparer les cieux, les mers et les terres. Il nous propose un jardin outout sentiment de sublime aurait déserté, mais présidé par des principes ornementaux qui assignent un nouvel ordre aux éléments. Les matériaux utilisés relèvent de la banalité voire de la vulgarité, même si ou parce qu’ils sont communément associés au décoratif. En définitive-et avec la douce ironie de l’artiste-ne pourrait-on considérer l’ornement,si présent, comme l’impuretépropre à toute procédure d’hybridation?
Philippe Coubetergues,
critique Aïca
exposition Les Hauts reliefs; Galerie A. le Gaillard, Paris -2006
Ce sont des nuages qui se maintiennent en suspension, de vrais nuages qui pleuvent de véritables gouttes de pluie sur de véritables reliefs. Des lacs se forment, des rivières aussi, l’eau circule d’un canyon à l’autre, s’infiltre dans le sol et retourne en pluie. C’est une machine à faire la pluie par beau temps, c’est un instrument à eau, une sorte de réplique écourtée du cycle de l’eau. Cela fonctionne sur le mode de la métaphore improbable, de la science inexacte, de l’impossible arrangement. C’est curieux; des sculptures qui fonctionnent comme des images. Des images en trois dimensions. Des dessins, pourrait-on dire, tellement les pièces sont graphiques. Des dessins suspendus dans l’espace, projetés au dessus du sol, des objets d’illusion en état d’apesanteur. Des illusions qui se tiennent là, devant nos yeux et auxquelles on n’hésite pas à croire. A l’instar d’un dessin, ces sculptures ont une véritable force de simulation et sans dissimulation. Tout est montré: les moteurs, les fils électriques, le tuyau d’aquariophilie, les embouts d’arrosage automatique, etc. Et comme chacun sait, quand rien ne nous est caché, tout nous porte à y croire.
Texte de Eric Suchère, Critique Aïca
Exposition au Museum d’histoire naturelle de Bourges, 1997
Jean-Luc Bichaud, le parasite.
Jean-Luc Bichaud fait des greffes. Il ne fait pas que cela mais il reste que son mode d’action principal est la greffe. Il ne s’agit que d’une technique mais elle demande un savoir spécifique. Pour qu’une technique ne soit pas simple geste, il faut qu’elle soit vivifiée par autre chose, appelons cela la poétique. Si Jean-Luc Bichaud greffe, ce qu’il fait réellement, c’est de parasiter. Il parasite et le parasitage est une poétique propre aux années 90. En
musique, on sample (on vole des extraits musicaux) ou on remixe (on fait dévier une forme), en art, on parasite, c’est aussi simple que cela. Reste qu’il ne faut pas parasiter n’importe quoi, ni n’importe comment. Cela, la nature nous l’apprend, un bon parasite ne se met pas n’importe où.
Il prend, par exemple, ces rosiers auxquels il lie des crayons. Le lien semble arbitraire mais est, en fait, généré par la couleur de la fleur- la couleur annoncée ou connue. Il parasite la fleur- allez, lançons le mot, la nature ! mais également, la couleur car il y a bien des déviations qui font que celle-ci n’est pas tout à fait ce qu’elle devrait être. Si l’on se souvient que les couleurs ont pour fonction, dans la peinture académique, d’imiter les effets de la
nature (les académiciens recommandent de ne pas succomber à ses atouts afin que l’esprit continue à dominer) et qu’elles sont produites à partir de plantes, on se demande ce qui est réellement parasité si c’est la nature ou bien la couleur. Je parierai pour la couleur, il parasite la couleur par la couleur. C’est d’ailleurs ce qu’il fait dans ses crayons, dans lesquels une mine d’un crayon x est placée à la place de celle d’un crayon y afin de produire un crayon z, un être hybride et monstrueux avec lequel il serait difficile de dessiner à moins d’être frappé de daltonisme aigu, ce que l’on reprochait, par exemple à Claude Monet (grand jardinier au demeurant).
A quoi sert un parasite ? En général, le parasite se nourrit de son hôte. Jean-Luc Bichaud créée des parasites qui ne se nourrissent pas mais qui peuvent paralyser la fonction de l’objet (les crayons), jusqu’à empêcher le maniement (le fusain, avec lequel il joue sur la langue puisque ce mot désigne à la fois l’arbre et l’objet qui sert à dessiner), voire l’exécute dans le cas du pauvre rosier qui doit résister à cette opération délicate mais barbare de la greffe. Jean-Luc Bichaud est, en fait, le parasite. Il parasite le geste du jardinier, non afin d’entretenir la nature (ou de la diriger) mais pour l’exécuter. Quand on parle d’exécuter, dans la champ des Beaux-Arts, c’est pour mettre en évidence le rôle du copiste.
Jean-Luc Bichaud exécute une nouvelle nature (en se basant sur les mots) et, l’exécutant, fait une nature morte. C’est sans doute pour cela qu’il met les crayons, toujours par exemple, dans des boîtes, parasitant le geste du collectionneur de papillons, tentant de préserver, pour la vue, ces créatures perverses. E.C
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0livier Kaeppelin
(catalogue Les Environnementales 3),
Parc de Tecomah-HEC, Jouy-en-Josas (FR) - 2004
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Je suis le temps
Jean-Luc Bichaud invite le spectateur à pénétrer en une «folie» où se fabrique une lente métamorphose. Imaginons ce spectateur y assistant du début à la fin. Sa première sensation sera de passer de la lumière tamisée du sous-bois à une sensation de blancheur faite de fleurs blanches disposées selon des verticales, rythmées par des récipients de liquides colorés auxquels elles s’abreuvent: des encres qui vont transmettre leurs couleurs aux végétaux et la mort, en même temps, pour cause de processus chimiques incompatibles. Ces longs échanges modifieront profondément les sensations du spectateur qui, jour après jour, verra l’espace se colorer entièrement selon la suite des couleurs de l’arc-en-ciel.Quel sera son premier sentiment?Le spectacle d’un pourrissement, d’un empoisonnement lent du vivant, d’une scénographie mortifère depuis le récipient jusqu’à la fleur?Je n’en crois rien, c’est du côté de la vie que l’entraîne cette lente contemplation. Par le dispositif proposé, il assiste à la transformation d’un objet de nature périssable en une œuvre faite de couleurs qui se figure dans la quintessence du vivant et de la vibration de la lumière: le spectre de l’arc-en-ciel. Entre les deux mots, le second l’emporte, sans oublier que les spectres, comme nous le savons, ne meurent jamais.Cette «folie» crée l’utopie d’un regard qui voit, devant lui, l’œuvre se créer, s’emparer des murs de la maison, dans un mouvement où, chaque jour, pousse la peinture. Maison rêvée, maison hantée,papier devenantpeu à peu surface picturale inédite où l’encre et les fleurs, s’opposantà la décrépitude, mesurent, comme dans l’œuvrede Roy Adzak, le mouvement de la vie après la mort.Cette folie porte l’utopie de la transformation de notre rapport au temps car, si notre spectateur pouvait y entrer en pensant «j’ai le temps», il en ressortira en pensant «je suis le temps», un temps vécu non dans l’illusion d’un plan mais dans l’incertitude de l’évolution.Il arrive que les maisons occupéespar les spectres et les âmes mortesaientles influences les plus néfastes sur ceux qui s’y égarent. Certaines maisons:oui mais d’autres:non, comme celles hantées par la couleur, la lumière et le temps retrouvés.
Paul-Hervé Parsy
administrateur du château d’Oiron
catalogue Ed. du patrimoine, château d’Oiron (FR) - 2004
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Isolé au sein d’une vaste plaine agricole, dont l’ordonnancement géométrique déjoue les lois de la nature, le château d’Oiron entretient avec celle-ci des liens complexes. Sa sophistication architecturale flamboyante, majestueuse, tranche singulièrement avec l’immensité plane des champs cultivés. Deux mondes se côtoient, s’observent, sans vraiment se rencontrer. Cette mise à distance réciproque, marquée par des lignes de séparation affirmée, n’empêche pas cependant les regards croisés: qu’est-ce qu’au fond que cette prétendue nature, travaillée, domestiquée, complètement instrumentalisée? Rien n’échappe à la logique productiviste, même si les saisons en rythment les couleurs, ou si les cultures renouvelées d’année en année en transforment l’apparence.Loin d’être un espace auquel une vision idéalisée de la nature peut s’appliquer, cette plaine s’offre comme une étendue soigneusement contrôlée par les outils industriels conçus pour en extrairedes matériaux utilisables. L’ingénierie contemporaine en dessine les contours, en trame l’existence, avec la volonté d’en tirer le meilleur parti.En marge de cette réalité, l’artiste offre un contrepoint. Par sa vision, il attire l’œil sur un fragment ignoré, il ouvre une perspective oubliée, il entrecroise des réflexions débouchant sur d’autres approches, que les habitudes maintenaient dans l’ombre.Il peut aussi inviter à un regard différent sur le monde qui nous entoure, en révélant des dimensions inhabituelles. Il peut encore explorer des territoires connus, pour en déceler des possibilités encore inexploitées..L’artiste est ainsi un passeur d’idées, dont le travail devient la matérialisation. Mais cette matérialisation ne saurait confiner le regardeur dans une posture de simple regardeur. Marcel Duchamp avait bien saisi cette situation particulière en affirmant que «c’est le regardeur qui fait le tableau», sous-entendant par là que celui qui observe le fait avec sa propre sensibilité , ses connaissances, son imagination ou son état d’esprit. Le regardeur est en effet aussi impliqué dans son regard porté sur l’œuvre que ne l’est l’artiste dans son travail. L’intelligence de l’œuvre réside alors dans sa capacité à éveiller, à susciter, à surprendre, à créer donc un lien entre elle et celui qui l’observe.En invitant Jean-Luc Bichaud à travailler dans les espaces du château, l’objectif est non seulement de proposer à un artiste un cadre particulier, loin de la neutralité supposée du musée, mais aussi de révéler certains éléments constitutifs du passé et du présent du monument. Dans un dialogue fondé à la fois sur l’architecture intérieure, y compris ses composantes décoratives, et sur la singularité de la relation avec la nature artificielle qui l’entoure, les œuvres participent d’une ambition poétique assumée par l’artiste. Elles ne cherchent pas à ignorer le contexte: bien au contraire elles s’inscrivent tant dans l’histoire du château que dans son identité actuelle. Cette inscription obéit au souci d’offrir au regard une expérience sensible, au sens physique du terme: les œuvres sont à portée de main, elles s’expérimentent en temps réel, au gré du déplacement du regardeur. De cette proximité surgit une appréhension étonnante: comment des matériaux aussi divers qu’ordinaires parviennent encore à surprendre? Sans doute est-ce la subtilité de l’artiste que de savoir redonner une identité originale à chacun des termes de ses propositions, en les articulant les uns aux autres sous une forme singulière. Ainsi, en se référant explicitement à un motif décoratif couramment utilisé au XVIème siècle dans les jardins, mais en recourant à de bien ordinaires paillassons pour le réaliser à l’intérieur du château opère-t-il un triple déplacement: de l’extérieurvers l’intérieur, du passé au présent, de l’intouchable au foulable. Nombreux sont d’ailleurs les visiteurs, conditionnés par la fréquentation des lieux d’art, qui hésitent à marcher sur cette broderie soignée, témoignant ainsi d’un surprenant respect pour une vulgaire paillasse rendue au statut d’œuvre d’art. c’est par ces subtils décalages que l’artiste introduit une autre vision du quotidien, empreinte d’humour comme d’élégance.Ce même raffinement se retrouve dans l’Arrangement n°14 (Conduire), réalisé dans les combles du corps central du château.Soit un circuit fermé de tubes transparents, dans lesquels d’ordinaires poissons rouges évoluent en toute liberté à hauteur des yeux, et le long duquel sont installés d’une part un ensemble de plantes sans qualités particulières, suspendues, comme une mangrove improbable, et d’autre part de fragiles cages en bois habituellement dévolues à des serins. Paysage de l’artificialité contemporaine, où chacun des éléments pris séparément ( poissons rouges, chlorophytums, cages d’oiseaux) renvoie à des pratiques décoratives banales, ce travail de grandes dimensions devient soudain un monde à part entière où le regardeur reste libre de ses images, et de ses interprétations. Certains souligneront le caractère ironique de la proposition en ce qu’elle «met en scène la toute puissance récemment acquise par l’homme sur la nature ( Jean-Luc Bichaud), d’autres remarqueront que «tout en opérant avec humour une sorte de réhabilitation de ces espèces si ordinaires, jean-luc Bichaud évite toute charge émotionnelle «(Danièle Yvergniaux), d’autres enfin y verront sans doute une métaphore de notre propre condition d’être humain. La qualité de cette œuvre est bien de laisser la porte ouverte à l’interprétation, à l’imagination. Encore une fois, l’artiste est celui par lequel la perception de chacun donne du sens au monde.Dans un moment où les certitudes vacillent, où les interprétations du monde s’affrontent, ou l’art contemporain lui-même est régulièrement remis en cause, il est réjouissant de constater que les œuvres d’art sont encore capables de susciter l’intelligence, la sensibilité ou le plaisir. Sous des formes et des agencements empreints de simplicité et d’évidence visuelle, les œuvres de Jean-Luc Bichaud invitent, sans aucune péremption, à porter le regard sur elles, et à y découvrir un monde en devenir, au gré du temps, des saisons. Dans ce travail d’hybridations surprenantes où le végétal se marie à l’animal, où les greffes imbriquent la nature et la production industrielle, réside une conception de l’art fondée sur un rapport à l’histoire et à la vie dans lequel les frontières s’abolissent. Les images se superposent, des liens se tissent qui font apparaître un univers en mouvement. Le risque d’échec est là, car, à chaque instant, menace la fin du processus. Mais, à bien observer, c’est de ces hybridations que naissent de nouvelles perceptions. Grâce aux œuvres d’art, simplement.
Philippe Coubetergues, Critique Aïca
Galerie Alain Le Gaillard, exposition à découvert , septembre 2000
Jean-Luc Bichaud s’est associé avec la nature comme on signe un pacte avec le diable. Il travaille avec le vivant. Ses agissements sont certes répréhensibles. C’est une pratique un peu contre-nature, mais alors tout contre elle.
En naturaliste averti autant que apprenti sorcier, il génère des rencontres improbables1. Par l’hybridation des milieux aquatique, aérien et terrestre, la nature pourrait bien être tentée de
donner naissance à quelque animal monstrueux. Il s’agit donc de tenter sa chance avec elle, de faire des essais avec des tubes à oiseaux et des cages à poissons.
Ces morceaux de nature réinventée se visitent facilement, ils sont même conçus pour ça.
Généralement présentés sous vitrine ou sur socle offrant au regard tout le loisir du point de vue, ces installations miniatures mettent la nature à hauteur d’homme.
Mais cet assemblage fonctionne comme un espace de rencontre arrangée, avec ses alcôves, ses fausses ouvertures, ses couloirs déambulatoires, ses coulisses et ses apparats. C’est dans ces espaces de frontières que tout se joue, que se tient l’événement, que la représentation se donne. Il faut se rendre au point de rencontre, être là au bon moment, réserver sa place au
premier rang. C’est alors que sous nos yeux vient à passer une énigme. Elle apparait sous des formes variables, par transparence ou à découvert.
A l’instar de ses oeuvres précédentes, il s’agit toujours de mettre les choses à touche-touche, les unes dans les autres, les unes au bout des autres, de les greffer, de les relier, de les rallier, de les traverser, de les transpercer, de les emboutir, et c’est juste pour voir.
Car il s’agit toujours de laisser à penser ce qui pourrait se passer.
Jean-Luc Bichaud éprouve ce que le raisonnable réprouve. Elle est belle la nature dans cet état.
Texte de Eric Suchère, Critique Aïca
Exposition au Museum d’histoire naturelle de Bourges, 1997
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Jean-Luc Bichaud, le parasite.
Jean-Luc Bichaud fait des greffes. Il ne fait pas que cela mais il reste que son mode d’action principal est la greffe. Il ne s’agit que d’une technique mais elle demande un savoir spécifique. Pour qu’une technique ne soit pas simple geste, il faut qu’elle soit vivifiée par autre chose, appelons cela la poétique. Si Jean-Luc Bichaud greffe, ce qu’il fait réellement, c’est de parasiter. Il parasite et le parasitage est une poétique propre aux années 90. En
musique, on sample (on vole des extraits musicaux) ou on remixe (on fait dévier une forme), en art, on parasite, c’est aussi simple que cela. Reste qu’il ne faut pas parasiter n’importe quoi, ni n’importe comment. Cela, la nature nous l’apprend, un bon parasite ne se met pas n’importe où.
Il prend, par exemple, ces rosiers auxquels il lie des crayons. Le lien semble arbitraire mais est, en fait, généré par la couleur de la fleur- la couleur annoncée ou connue. Il parasite la fleur- allez, lançons le mot, la nature ! mais également, la couleur car il y a bien des déviations qui font que celle-ci n’est pas tout à fait ce qu’elle devrait être. Si l’on se souvient que les couleurs ont pour fonction, dans la peinture académique, d’imiter les effets de la
nature (les académiciens recommandent de ne pas succomber à ses atouts afin que l’esprit continue à dominer) et qu’elles sont produites à partir de plantes, on se demande ce qui est réellement parasité si c’est la nature ou bien la couleur. Je parierai pour la couleur, il parasite la couleur par la couleur. C’est d’ailleurs ce qu’il fait dans ses crayons, dans lesquels une mine d’un crayon x est placée à la place de celle d’un crayon y afin de produire un crayon z, un être hybride et monstrueux avec lequel il serait difficile de dessiner à moins d’être frappé de daltonisme aigu, ce que l’on reprochait, par exemple à Claude Monet (grand jardinier au demeurant).
A quoi sert un parasite ? En général, le parasite se nourrit de son hôte. Jean-Luc Bichaud créée des parasites qui ne se nourrissent pas mais qui peuvent paralyser la fonction de l’objet (les crayons), jusqu’à empêcher le maniement (le fusain, avec lequel il joue sur la langue puisque ce mot désigne à la fois l’arbre et l’objet qui sert à dessiner), voire l’exécute dans le cas du pauvre rosier qui doit résister à cette opération délicate mais barbare de la greffe. Jean-Luc Bichaud est, en fait, le parasite. Il parasite le geste du jardinier, non afin d’entretenir la nature (ou de la diriger) mais pour l’exécuter. Quand on parle d’exécuter, dans la champ des Beaux-Arts, c’est pour mettre en évidence le rôle du copiste.
Jean-Luc Bichaud exécute une nouvelle nature (en se basant sur les mots) et, l’exécutant, fait une nature morte. C’est sans doute pour cela qu’il met les crayons, toujours par exemple, dans des boîtes, parasitant le geste du collectionneur de papillons, tentant de préserver, pour la vue, ces créatures perverses. E.C
Texte de Eric Suchère, Critique Aïca
Exposition au Museum d’histoire naturelle de Bourges, 1997
Jean-Luc Bichaud, le parasite.
Jean-Luc Bichaud fait des greffes. Il ne fait pas que cela mais il reste que son mode d’action principal est la greffe. Il ne s’agit que d’une technique mais elle demande un savoir spécifique. Pour qu’une technique ne soit pas simple geste, il faut qu’elle soit vivifiée par autre chose, appelons cela la poétique. Si Jean-Luc Bichaud greffe, ce qu’il fait réellement, c’est de parasiter. Il parasite et le parasitage est une poétique propre aux années 90. En
musique, on sample (on vole des extraits musicaux) ou on remixe (on fait dévier une forme), en art, on parasite, c’est aussi simple que cela. Reste qu’il ne faut pas parasiter n’importe quoi, ni n’importe comment. Cela, la nature nous l’apprend, un bon parasite ne se met pas n’importe où.
Il prend, par exemple, ces rosiers auxquels il lie des crayons. Le lien semble arbitraire mais est, en fait, généré par la couleur de la fleur- la couleur annoncée ou connue. Il parasite la fleur- allez, lançons le mot, la nature ! mais également, la couleur car il y a bien des déviations qui font que celle-ci n’est pas tout à fait ce qu’elle devrait être. Si l’on se souvient que les couleurs ont pour fonction, dans la peinture académique, d’imiter les effets de la
nature (les académiciens recommandent de ne pas succomber à ses atouts afin que l’esprit continue à dominer) et qu’elles sont produites à partir de plantes, on se demande ce qui est réellement parasité si c’est la nature ou bien la couleur. Je parierai pour la couleur, il parasite la couleur par la couleur. C’est d’ailleurs ce qu’il fait dans ses crayons, dans lesquels une mine d’un crayon x est placée à la place de celle d’un crayon y afin de produire un crayon z, un être hybride et monstrueux avec lequel il serait difficile de dessiner à moins d’être frappé de daltonisme aigu, ce que l’on reprochait, par exemple à Claude Monet (grand jardinier au demeurant).
A quoi sert un parasite ? En général, le parasite se nourrit de son hôte. Jean-Luc Bichaud créée des parasites qui ne se nourrissent pas mais qui peuvent paralyser la fonction de l’objet (les crayons), jusqu’à empêcher le maniement (le fusain, avec lequel il joue sur la langue puisque ce mot désigne à la fois l’arbre et l’objet qui sert à dessiner), voire l’exécute dans le cas du pauvre rosier qui doit résister à cette opération délicate mais barbare de la greffe. Jean-Luc Bichaud est, en fait, le parasite. Il parasite le geste du jardinier, non afin d’entretenir la nature (ou de la diriger) mais pour l’exécuter. Quand on parle d’exécuter, dans la champ des Beaux-Arts, c’est pour mettre en évidence le rôle du copiste.
Jean-Luc Bichaud exécute une nouvelle nature (en se basant sur les mots) et, l’exécutant, fait une nature morte. C’est sans doute pour cela qu’il met les crayons, toujours par exemple, dans des boîtes, parasitant le geste du collectionneur de papillons, tentant de préserver, pour la vue, ces créatures perverses. E.C
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Diane Watteau
critique Aïca
(catalogue) 2003
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Une certaine idée du bonheur, une « folie de Jean-Luc Bichaud
Le jardin est un endroit privilégié où s’accomplit le rêve. Pour s’assurer une jouissance tranquille, on dresse des palissades, on élève des murs. Un enclos s’établit. L’art s’ingénie à imiter la nature.
Jean-Luc Bichaud installe dans le parc de Tecomah un cube énigmatique baptisé Spectre. Dans cette architecture éphémère, les murs intérieurs sont tapissés d’un motif décoratif réel, sorte de guillochis2 contemporain. Des fleurs de saison baignent dans des tubes à essai pleins de liquides colorés. Chaque lé est une couleur du spectre lumineux. Un jardin secret ou un jardin de savant retranché à l’intérieur refonde un nouvel ordre, à la fois artificiel et vivant, comme « un extraordinaire enrichissement de l’idée du monde »3.
Le promeneur s’est égaré dans le cube pour embrasser sa compagne, voler des mots, analyser une présence… Il s’inquiète maintenant de cette recomposition des usures des cœurs et des corps. La fleur, dans le tube, se gorge de la couleur qui lui donne vie avant de mieux l’asphyxier. La métamorphose de la fleur fait de l’Arcadie rêvée, un arrêt. L’artiste annonce un bouleversement.
La nouvelle « folie » de Jean-Luc Bichaud est une manière de « cabinet de verdure ». Grâce à son architecture expérimentale, il nous donne à revivre les lieux de rêves et d’illusions qu’étaient les jardins de divertissement. Il nous invite aussi à nous replier un moment sur un bonheur inquiet en proie aux ambivalences. L’amour du repos, de la contemplation, se confond avec l’empoisonnement de la fleur. Paul et Virginie sont épuisés de fatigue et de soif après une promenade : « Comment ferons-nous ? dit Paul, ces arbres ne produisent que de mauvais fruits ».
Spectre : Une « folie » contemporaine pour un destin inévitable…
1 Dans la tradition française, le terme de « folie » correspond à une petite maison de campagne.
2 « Ornement formé par des lignes et des traits de différentes figures entrelacées. »
3 J. Starobinski, Montaigne en mouvement, Paris, Gallimard, 1982, p.158.
Frank Lamy
Paysage sémantique
Le verbe jardiner est apparu au quatorzième siècle dans des locutions métaphoriques au sens général d’aventure galante. Puis, à partir de 1527, sous sa forme intransitive, il devient le terme d’horticulture que l’on connaît. Son emploi transitif, quant à lui plutôt rare et non exclusif, est réservé à des domaines spécialisée: la fauconnerie par exemple. De même qu’un oiseau se jardine lorsqu’il se réchauffe au soleil, on peut tout aussi bien jardiner un autour.En argot moderne, jardiner peut signifier taquiner. De manière plus générale, il conserve sa connotation sexuelle.De jardiner, on tire le substantif jardinage. Au départ, attesté dans le sens collectif «d’ensemble des jardins», il acquiert progressivement son sens courant de «culture et d’entretien des jardins». Avec, au dix-neuvième siècle, une acception particulière en sylviculture: mode d’exploitation d’une futaie consistant à enlever çà et là, outre les arbres vieux, quelques sujets en bon état destinés au commerce.Selon une toute autre étymologie, le jardinage désigne, dans le vocabulaire des joailliers, les imperfections d’un diamant ou d’une pierre précieuse, les taches dues à une fêlure ou une substance étrangère infiltrée. En gemmologie, une pierre jardinée, c’est-à-dire qui présente des traces de jardinage, est atteinte de défauts visibles à l’œil nu. Une émeraude jardineuse est une émeraude dont le vert n’est pas net parce que mêlé de brun.Synonyme de jardinage:crapaud(1845). Un crapaud est par ailleurs une pierre grossière incluse dans un bloc de marbre. Si le lien crapaud-imperfection est compréhensible, l’association crapaud-pierre viendrait peut-être de la croyance selon laquelle se trouvait une pierre aux vertus particulières dans la tête de tout crapaud. Le nom du batracien, faisant allusion à la forme des pattes de l’animal, serait issu du germanique krappa, «crochet», et appartiendrait donc à la famille des mots agrafe, crampes et autres crampons.L’étymologie de ce pan de jardinage est à chercher du côté du francique gard, «aiguillon», «piquant», et serait donc voisin du substantif masculin souvent pluriel, les jarres( variantes jars, jards): poils droits et raides mêlés au poil fin des fourrures( ou à la laine) et dont l’enlèvement est nécessaire pour obtenir une matière soyeuse.Il existe deux hypothèses pour la spécialisation sémantique d’une des variantes, jars. La première l’expliquerait par la comparaison de la verge du mâle de l’oie avec une aiguille. Tous les emploi du mot verge, issu du latin virga, reprennent les acceptions latines de «branche souple et flexible, baguette», «bouture, rejeton, scion», «membre viril». Par analogie, les significations du mot suivent la valeur générale de tige avec les idées de souplesse et de fermeté, ses fonctions et innombrables possibilités de métaphorisation.La seconde théorie, cette fois-ci par allusion à la combativité de l’animal, invoque l’ancien français jarse, «lancette». le verbe dérivé jarser «donner des coups avec un objet pointu», est identifié comme une des étapes probables dans l’histoire du verbe gercer.Signifiant successivement «blesser, endommager» (fin XIIème), «scarifier»( jusqu’au XVIème), gercer devient à partir de 1530 «faire de petites crevasses» (en parlant du vent, du froid). Gerce a désigné une lancette utilisée pour la saignée, une «teigne qui ronge les étoffes, les papiers» puis une«fente dans le bois». Cette idée de scarification se retrouve dans la gerçure. Aux origines difficiles à établir: le jars«argot du milieu» et la gerce «garce». La greffe, si l’on en croit les dictionnaires, désigne la pousse ( qu’elle soit œil, branche ou bourgeon) prélevée sur une plante et que l’on insère dans une autre plante (appelée alors porte-greffe ou sujet) pour que celle-ci produise les fruits de la première. Dans ce sens, greffe a pour synonymes greffon, ente ou scion. Depuis le dix-septième siècle, ce mot est employé aussi bien pour l’opération par laquelle on implante un greffon que pour le résultat de cette action.La greffe est alors un procédé de reproduction, de multiplication par voie végétative consistant à provoquer,par différentes techniques, la soudure de deux individus de façon à ce que le porte-greffe, ou sujet, fournisse le système racinaire sur lequel se développera le greffon correspondant à la variété dont on veut obtenir les fleurs ou les fruits.Par extension, ce mot est entré dans le vocabulaire chirurgical pour désigner l’opération qui consiste à insérer une portion de l’organisme d’un individu (donneur) sur une autre partie du corps(que ce corps soit le même ou un autre). Vecteur d’altérité, la greffe produit de la modification. Qu’elle accole deux singularités pour les hybrider en vue de la création d’une troisième ou qu’il s’agisse, du même sur le même, de rectifier ou modifier l’orientation d’un arbre, qu’elle soit donc hétéro-, homo, iso-, auto-, allo-, ou encore xéno-, toujours la greffe altère le sujet.A l’origine du mot, par analogie formelle avec le greffon, le latin graphium, «stylet», lui-même emprunt au grec grapheion, de graphein, «écrire». La greffe entretient donc un lien étroit avec l’écriture-l’acception masculine du mot en conserve la trace sémantique-et plus particulièrement avec l’objet qui traditionnellement et simplement permet l’écriture: le crayon.Synonyme de stylet, le style désigne un poinçon de fer ou d’os, dont une extrémité, pointue, servait à écrire sur la cire des tablettes, et l’autre, aplatie, à effacer. En botanique, un style est la partie allongée du pistil ( ou du carpelle), reliant l’ovaire au (x) stigmates.Poursuivant les investigations, on s’aperçoit que les mots greffe et griffe sont reliés sémantiquement par le sens d’égratignure. Si la griffe, déverbal de griffer désigne en premier lieu, la formation cornée, pointue ou crochue, qui termine les doigts de certains animaux (mammifères, oiseaux, reptiles), son champ sémantique est, par extension et analogie, assez vaste.Présent dans de nombreuses locutions imagées, ce mot connaît beaucoup de significations techniques précises. Signalons-en trois: en botanique, racine tubéreuse de certaines plantes comme l’asperge ou la renoncule: en bijouterie, petit crochet qui maintient une pierre sur un bijou; et c’est ainsi que l’on nomme les crampons utilisés dans certains corps de métiers pour grimper aux poteaux électriques, aux arbres.Dans ces divers outils qui, par métonymie, sont appelés griffes, remarquons particulièrement celui qui sert à faire une empreinte imitant une signature (1798). A partir de 1835, la griffe est la signature même effectuée au moyen d’un cachet (on appose sa griffe) et au figuré, depuis Flaubert, la marque de la personnalité de quelqu’un dans ses œuvres.Autre synonymes du greffon, l’ente. Mot féminin qui désigne le scion que l’on prend à un arbre pour le greffer à une autre. Selon une procédure d’extension sémantique courante, par contamination, ce mot recouvre à la fois le greffon, mais aussi la greffe opérée au moyen d’une ente, voire l’arbre sur lequel on a inséré le scion. Enter, fortement concurrencé depuis le XVIème siècle par son synonyme greffer, signifie de manière plus générale, insérer, abouter.Une des utilisations perdues du verbe enter: mettre une ente. C’est-à-dire allonger plus ou moins, ayant préalablement coupé le bout qui était usé ou trop court (enter des bas). En menuiserie, enter, c’est joindre deux pièces de bois de la même grosseur, d’une charpente ou d’un meuble, les assembler bout à bout dans la même direction. Terme de fauconnerie, enter c’est raccommoder une penne d’oiseau, froissée ou rompue, soit par la jonction d’une penne gardée soit à l’aiguille ou au tuyau.L’adjectif enté-ée est utilisé en héraldique et s’applique par exemple à un écu dont les partitions entrent les unes dans les autres.Dans un tout autre registre, l’ente est le morceau de bois qui sert de manche à un pinceau.L’ente est aussi un terme de chasse: peau remplie de paille ou de foin modelée en forme de volatile, placée sur un piquet pour attirer les oiseaux dans un piège. Un leurre, sorte d’appeau visuel, objet destiné à tromper. Signification première de leurre: c’est le morceau de cuir rouge en forme d’oiseau auquel on attachait un appât pour faire revenir le faucon sur le poing. Dresser un oiseau au leurre.L’illusion que procure le leurre a quelque chose à voir avec la domestication. Leurre appartient aussi au vocabulaire halieutique. C’est une amorce factice munie d’un hameçon. Une des acceptions de scion relève également du même champ lexical puisqu’il s’agit du brin très fin qui termine la canne à pêche.
Octobre 2001
Philippe Coubetergues, Critique Aïca
Galerie Alain Le Gaillard, exposition à découvert , septembre 2000
Jean-Luc Bichaud s’est associé avec la nature comme on signe un pacte avec le diable. Il travaille avec le vivant. Ses agissements sont certes répréhensibles. C’est une pratique un peu contre-nature, mais alors tout contre elle.
En naturaliste averti autant que apprenti sorcier, il génère des rencontres improbables1. Par l’hybridation des milieux aquatique, aérien et terrestre, la nature pourrait bien être tentée de
donner naissance à quelque animal monstrueux. Il s’agit donc de tenter sa chance avec elle, de faire des essais avec des tubes à oiseaux et des cages à poissons.
Ces morceaux de nature réinventée se visitent facilement, ils sont même conçus pour ça.
Généralement présentés sous vitrine ou sur socle offrant au regard tout le loisir du point de vue, ces installations miniatures mettent la nature à hauteur d’homme.
Mais cet assemblage fonctionne comme un espace de rencontre arrangée, avec ses alcôves, ses fausses ouvertures, ses couloirs déambulatoires, ses coulisses et ses apparats. C’est dans ces espaces de frontières que tout se joue, que se tient l’événement, que la représentation se donne. Il faut se rendre au point de rencontre, être là au bon moment, réserver sa place au
premier rang. C’est alors que sous nos yeux vient à passer une énigme. Elle apparait sous des formes variables, par transparence ou à découvert.
A l’instar de ses oeuvres précédentes, il s’agit toujours de mettre les choses à touche-touche, les unes dans les autres, les unes au bout des autres, de les greffer, de les relier, de les rallier, de les traverser, de les transpercer, de les emboutir, et c’est juste pour voir.
Car il s’agit toujours de laisser à penser ce qui pourrait se passer.
Jean-Luc Bichaud éprouve ce que le raisonnable réprouve. Elle est belle la nature dans cet état.
Texte de Eric Suchère, Critique Aïca
Exposition au Museum d’histoire naturelle de Bourges, 1997
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Jean-Luc Bichaud, le parasite.
Jean-Luc Bichaud fait des greffes. Il ne fait pas que cela mais il reste que son mode d’action principal est la greffe. Il ne s’agit que d’une technique mais elle demande un savoir spécifique. Pour qu’une technique ne soit pas simple geste, il faut qu’elle soit vivifiée par autre chose, appelons cela la poétique. Si Jean-Luc Bichaud greffe, ce qu’il fait réellement, c’est de parasiter. Il parasite et le parasitage est une poétique propre aux années 90. En
musique, on sample (on vole des extraits musicaux) ou on remixe (on fait dévier une forme), en art, on parasite, c’est aussi simple que cela. Reste qu’il ne faut pas parasiter n’importe quoi, ni n’importe comment. Cela, la nature nous l’apprend, un bon parasite ne se met pas n’importe où.
Il prend, par exemple, ces rosiers auxquels il lie des crayons. Le lien semble arbitraire mais est, en fait, généré par la couleur de la fleur- la couleur annoncée ou connue. Il parasite la fleur- allez, lançons le mot, la nature ! mais également, la couleur car il y a bien des déviations qui font que celle-ci n’est pas tout à fait ce qu’elle devrait être. Si l’on se souvient que les couleurs ont pour fonction, dans la peinture académique, d’imiter les effets de la
nature (les académiciens recommandent de ne pas succomber à ses atouts afin que l’esprit continue à dominer) et qu’elles sont produites à partir de plantes, on se demande ce qui est réellement parasité si c’est la nature ou bien la couleur. Je parierai pour la couleur, il parasite la couleur par la couleur. C’est d’ailleurs ce qu’il fait dans ses crayons, dans lesquels une mine d’un crayon x est placée à la place de celle d’un crayon y afin de produire un crayon z, un être hybride et monstrueux avec lequel il serait difficile de dessiner à moins d’être frappé de daltonisme aigu, ce que l’on reprochait, par exemple à Claude Monet (grand jardinier au demeurant).
A quoi sert un parasite ? En général, le parasite se nourrit de son hôte. Jean-Luc Bichaud créée des parasites qui ne se nourrissent pas mais qui peuvent paralyser la fonction de l’objet (les crayons), jusqu’à empêcher le maniement (le fusain, avec lequel il joue sur la langue puisque ce mot désigne à la fois l’arbre et l’objet qui sert à dessiner), voire l’exécute dans le cas du pauvre rosier qui doit résister à cette opération délicate mais barbare de la greffe. Jean-Luc Bichaud est, en fait, le parasite. Il parasite le geste du jardinier, non afin d’entretenir la nature (ou de la diriger) mais pour l’exécuter. Quand on parle d’exécuter, dans la champ des Beaux-Arts, c’est pour mettre en évidence le rôle du copiste.
Jean-Luc Bichaud exécute une nouvelle nature (en se basant sur les mots) et, l’exécutant, fait une nature morte. C’est sans doute pour cela qu’il met les crayons, toujours par exemple, dans des boîtes, parasitant le geste du collectionneur de papillons, tentant de préserver, pour la vue, ces créatures perverses. E.C
Texte de Eric Suchère, Critique Aïca
Exposition au Museum d’histoire naturelle de Bourges, 1997
Jean-Luc Bichaud, le parasite.
Jean-Luc Bichaud fait des greffes. Il ne fait pas que cela mais il reste que son mode d’action principal est la greffe. Il ne s’agit que d’une technique mais elle demande un savoir spécifique. Pour qu’une technique ne soit pas simple geste, il faut qu’elle soit vivifiée par autre chose, appelons cela la poétique. Si Jean-Luc Bichaud greffe, ce qu’il fait réellement, c’est de parasiter. Il parasite et le parasitage est une poétique propre aux années 90. En
musique, on sample (on vole des extraits musicaux) ou on remixe (on fait dévier une forme), en art, on parasite, c’est aussi simple que cela. Reste qu’il ne faut pas parasiter n’importe quoi, ni n’importe comment. Cela, la nature nous l’apprend, un bon parasite ne se met pas n’importe où.
Il prend, par exemple, ces rosiers auxquels il lie des crayons. Le lien semble arbitraire mais est, en fait, généré par la couleur de la fleur- la couleur annoncée ou connue. Il parasite la fleur- allez, lançons le mot, la nature ! mais également, la couleur car il y a bien des déviations qui font que celle-ci n’est pas tout à fait ce qu’elle devrait être. Si l’on se souvient que les couleurs ont pour fonction, dans la peinture académique, d’imiter les effets de la
nature (les académiciens recommandent de ne pas succomber à ses atouts afin que l’esprit continue à dominer) et qu’elles sont produites à partir de plantes, on se demande ce qui est réellement parasité si c’est la nature ou bien la couleur. Je parierai pour la couleur, il parasite la couleur par la couleur. C’est d’ailleurs ce qu’il fait dans ses crayons, dans lesquels une mine d’un crayon x est placée à la place de celle d’un crayon y afin de produire un crayon z, un être hybride et monstrueux avec lequel il serait difficile de dessiner à moins d’être frappé de daltonisme aigu, ce que l’on reprochait, par exemple à Claude Monet (grand jardinier au demeurant).
A quoi sert un parasite ? En général, le parasite se nourrit de son hôte. Jean-Luc Bichaud créée des parasites qui ne se nourrissent pas mais qui peuvent paralyser la fonction de l’objet (les crayons), jusqu’à empêcher le maniement (le fusain, avec lequel il joue sur la langue puisque ce mot désigne à la fois l’arbre et l’objet qui sert à dessiner), voire l’exécute dans le cas du pauvre rosier qui doit résister à cette opération délicate mais barbare de la greffe. Jean-Luc Bichaud est, en fait, le parasite. Il parasite le geste du jardinier, non afin d’entretenir la nature (ou de la diriger) mais pour l’exécuter. Quand on parle d’exécuter, dans la champ des Beaux-Arts, c’est pour mettre en évidence le rôle du copiste.
Jean-Luc Bichaud exécute une nouvelle nature (en se basant sur les mots) et, l’exécutant, fait une nature morte. C’est sans doute pour cela qu’il met les crayons, toujours par exemple, dans des boîtes, parasitant le geste du collectionneur de papillons, tentant de préserver, pour la vue, ces créatures perverses. E.C
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Danièle Yvergniaux,
catalogue exposition galerie municipale E. Manet, Gennevilliers (FR)
«Un petit oiseau, un petit poisson s’aimaient d’amour tendre...» (1)
Un aquarium qui permet aux poissons rouges de voler et de se déplacer dans les airs, une cage qui descend au niveau du sol, une plante proliféranteencouragée à se multiplier, des cactus qui côtoient le monde aquatique: jean-Luc Bichaud semble avoir inventé ici la solution au problème de la rencontre impossible chantée par Juliette Gréco(1).Allègrement, plantes et animaux peuvent expérimenter de nouvelles conditions de vie dans une cohabitation inéditequi leur permet de faire connaissance. Imaginons les poissons rouges, habituellement cantonnés dans leurs bocaux circulaires, découvrant les plaisirs d’une course en ligne droite (2), puis de la promenade au milieu des cactus, des cages à oiseaux, d’une forêt de chlorophytums. Les plantes elles-mêmes ne vont-elles pas jouir de ce soudain confort qui leur ouvre de nouveaux horizons? Ou bien ne s’agit-il pas finalement d’une proposition pour un retour aux origines, quand il n’y avait pas encore de mammifères sur terre et que tout se passaitdans l’eau, entre poissons et végétaux, à l’époque bénie du Silurien (3)...Arrangement n°14, Conduireoccupe toute la longueur et la largeur de l’espace d’exposition principal de la Galerie Edouard Manet de Gennevilliers; c’est une construction qui suit les murs pour former un deuxième espace à l’intérieur du volume de la pièce. La structure est constituée d’un collage de trois éléments destinés à favoriser la circulation et le mouvement des espèces végétales et animales. Entre le tuyau-aquarium pour poissonsrouges et La Mangrove(4), une troisième construction évoque la cage, à oiseau ou à rongeur. A l’extrémité de l’une des lignes droites, un autre tube contient cette fois des cactus.Comme dans certains films de science fiction, la circulation est à la fois horizontale et verticale dans des «conduits» bien distinctsqui mettent au même niveau des espèces qui vivent dans des milieux incompatibles. Jean-Luc Bichaudeffectue ici une sorte de synthèse de différentes pièces déjà réalisées et expérimentées dans d’autres expositions: le chlorophytum dansLa Mangrove à Juvisy-sur-Orge, les poissons associés aux cactus dans A découvertà la galerie Alain Le Gaillard et leparcours aérien des poissons dans une serre dans Arrangement n°8, Poisson voleà la Villette. L’association est aujourd’hui multiple et constitue un monde diversifié dans lequel l’humain se voit naturellement impliqué.En effet, le visiteur est invité à suivre le parcours et à cheminer le long des tubes à côté des poissons qui eux-mêmes circulent dans cet aquarium linéaire, au niveau du visage. Il participe à la circulation au même titre que les autres protagonistes, va déambuler à son propre rythme, incluant ainsi dans l’œuvre son propre déplacement.Jean-Luc Bichaud casse les hiérarchies en inscrivant sur le même plan animaux, végétaux et humains. Cette opération est d’autant plus efficace qu’il choisit des espèces d’une extrème banalité, que l’on pourrait presque utiliser comme logotype pour «poisson» ou «plante». Il aborde le vivant par des sujets qui comportent ce qui semble être le plus faible coefficient de nature. On a vu certains poissons rouges tourner en rond plus de 15 ans dans leur bocal. Lechlorophytum est la plante d’appartement la plus banale, habituée des administrations, capable de résister à toutes les conditions et au plus mauvais des jardiniers. Les cages videssuggèrent la présence d’un autre animal, oiseau ou rongeur, et il s’agit encore là d’un sujet que l’on peut maintenir dans un espace clos, limité, au sein du foyer, animal-objet plus qu’animal domestique. Les grands espaces et l’inquiétante sauvagerie animale sont loin. A l’opposé de démarches artistiques d’ordre plus symbolique, qui font intervenir des animaux vivants nobles, comme le cerf, le cheval ( Gloria Friedmann) ou frustres et inquiétants (le cochon chez Wim Delvoye, le chien chez Oleg Kulik), Jean-Luc Bichaud évite toute charge émotionnelle, tout en opérant avec humourune sorte de réhabilitation de ces espèces si ordinaires.Comme précédemment avec ses crayons de couleur sur des rosiers (5) ou les appeaux sur des flûtes à bec (6), l’artiste pratique avec beaucoup de désinvolture la greffe entre des espèces incompatibles, des greffes dont il sait pertinemment qu’elles n’auront pas de réelle incidence sur l’évolution des différents composants. Contrairement aux artistes «biologiques» (Eduardo Kac, Marta de Menezes, Brandon Ballangée) qui effectuent de réelles expériences sur le vivant, il garde une approche spécifiquement visuelle. Aucune modification physiologique des espèces n’est attendue; simplement la plante est poussée vers un développement maximum, presque absurde, qui pourrait tendre vers une forme d’excèsvégétal, le poisson est conduit à emprunter des circuits inhabituels qui modifieront peut-être son comportement. La cage restée vide est une indication suffisante pour suggérer une autre présence. L’association, la contamination ou la mutation des espècesse produisent dans la tête du spectateur, par le potentiel fictionnel donné par l’œuvre. Il ne s’agit pas d’un processus, d’un «work in progress», mais d’un collage en mouvement. Le rapport du spectateur est finalement le même que pour un tableau. S’ily a transformation ou narration, elles restent purement mentale. Nous sommes donc bien devant une image, une image mise en espace. Particulièrement dans cette œuvre, Jean-Luc Bichaud traite le volume à la manière d’un sculpteur, en terme de masse, d’équilibre et de tension. L’appui est donné par les deux groupes de cages posées au sol , qui avec La Mangrove, troisième masse suspendue au plafond , établissent l’équilibre et la stabilité de la pièce et cassent l’horizontalité donnée par les tuyaux-aquarium.Jean-Luc Bichaud aime les œuvres dont on doit s’occuper et que l’on doit entretenir. Il porte la même attention à suivre et accompagner le développement de la plante en entretenant systématiquement ses nouveaux stolons, qu’à imaginer un nouveau parcours pour la distraction des poissons. Cette posture de jardinier-bricoleur, avec toute la modestie qu’elle implique, lui permet d’aborder la question grave de notre relation au monde et à la nature en particulier avec l’air de ne pas y toucher. Pas de démonstration appuyée, pas de discours moralisateur. Au premier abord, le jeu d’inversion plutôt amusant, la banale médiocrité des protagonistes font sourire.La déambulation, nez-à-nez avec les différentes espèces, change les données et nous replace dans une position inhabituelle, non dominante, d’égal à égal. Par l’effet miroir de la circulation des poissons, nous sommes envahis par une vague impression de ridicule, où surgissent les images de notre médiocre condition d’humain circulant dans les couloirs du métro ou surfant sur Internet, dans nos déplacements virtuels ou réels d’animaux sociaux dociles. L’installation a ainsi deux niveaux de lecture par lesquelles l’artiste joue sur les contradictions qui nous traversent. La joyeuse liberté de communication entreles espèces, qui séduit au premier regard, masque l’étanchéité des circuits qui isolent les milieux, par nécessité, mais irrémédiablement. On peut voir ici, mais il s’agit alors d’une interprétation, une métaphore des relations sociales et humaines d’aujourd’hui: une croyance omniprésentedans la communication qui masque l’isolement et la séparation des classes et la solitude de l’individu.Jean-Luc Bichaud aborde la relation nature/culture à travers toutes ces œuvres, mais il choisit d’éviter l’emphase,le démonstratif, le symbolique, pour adopter une position plus subtile. En s’appuyant sur l’ordinaire, sur une nature excessivement domestique, il laisse une place plus juste à l’humain dans sa dérisoire médiocrité. Il porte un regard sans jugement, ni positionnement critique, mais doucement ironique et discrètement poétique.
(1)Un petit poisson, un petit oiseau, G. Bourgeois, J-M. Rivière, Ed. Chapell
(2)On a pu observer, en effet, dans la précédente installation de jean-Luc Bichaud, Arrangement n°8, Poisson-vole,dans la serre, jardin du Futur, Cité des Sciences et de l’Industrie à La Villette, deux poissons rouges faire la course dans une section horizontale particulièrement longue du dispositif.
(3)Il y a 440 millions d’années
(4)Lamangrove: associationvégétale halophile caractéristique des régions littorales de la zone tropicale, où croissent en pleine vase des forêts de palétuviers (Petit Robert)
(5)Par exemple: Auguste Renoir, 1996; crayons de couleur, raphia et mastic à greffer sur rosier en pot.
(6)Canard, Fauvette, Mouette, merle et coucou, 1996; Appeaux, raphia et mastic à greffer sur corps de flûtes, bois peint
Morten Salling
catalogue Art Grandeur Nature « Animaleries »,
Parc de la Courneuve (FR)
Arrangement n°13 (Chat perché)
Jean-Luc Bichaud domestique l’animal et le végétal, pour créer des installations à la fois poétiques et contre-nature. Sestravaux sont autant d’artifices qui domestiquent le vivant et croisent des espèces incompatibles.Après avoir installé des poissons dans des cagesà oiseaux et des serres à cactus, l’artiste organise la rencontre improbable de l’eau et de l’air, des poissons et des oiseaux. Quoique plongés dans les feuillages, ces poissons circulent sous nos yeux comme des souris de laboratoire dans l’environnement totalement maîtrisé du tube à essai rempli d’eau filtrée. Mais cette réflexion éthique se double d’un regard poétique:l’artiste offre au poisson un espace de liberté et de sécurité, à l’abri de tout prédateur, animal ou humain.
Texte de Eric Suchère, Critique Aïca
Exposition au Museum d’histoire naturelle de Bourges, 1997
Jean-Luc Bichaud, le parasite.
Jean-Luc Bichaud fait des greffes. Il ne fait pas que cela mais il reste que son mode d’action principal est la greffe. Il ne s’agit que d’une technique mais elle demande un savoir spécifique. Pour qu’une technique ne soit pas simple geste, il faut qu’elle soit vivifiée par autre chose, appelons cela la poétique. Si Jean-Luc Bichaud greffe, ce qu’il fait réellement, c’est de parasiter. Il parasite et le parasitage est une poétique propre aux années 90. En
musique, on sample (on vole des extraits musicaux) ou on remixe (on fait dévier une forme), en art, on parasite, c’est aussi simple que cela. Reste qu’il ne faut pas parasiter n’importe quoi, ni n’importe comment. Cela, la nature nous l’apprend, un bon parasite ne se met pas n’importe où.
Il prend, par exemple, ces rosiers auxquels il lie des crayons. Le lien semble arbitraire mais est, en fait, généré par la couleur de la fleur- la couleur annoncée ou connue. Il parasite la fleur- allez, lançons le mot, la nature ! mais également, la couleur car il y a bien des déviations qui font que celle-ci n’est pas tout à fait ce qu’elle devrait être. Si l’on se souvient que les couleurs ont pour fonction, dans la peinture académique, d’imiter les effets de la
nature (les académiciens recommandent de ne pas succomber à ses atouts afin que l’esprit continue à dominer) et qu’elles sont produites à partir de plantes, on se demande ce qui est réellement parasité si c’est la nature ou bien la couleur. Je parierai pour la couleur, il parasite la couleur par la couleur. C’est d’ailleurs ce qu’il fait dans ses crayons, dans lesquels une mine d’un crayon x est placée à la place de celle d’un crayon y afin de produire un crayon z, un être hybride et monstrueux avec lequel il serait difficile de dessiner à moins d’être frappé de daltonisme aigu, ce que l’on reprochait, par exemple à Claude Monet (grand jardinier au demeurant).
A quoi sert un parasite ? En général, le parasite se nourrit de son hôte. Jean-Luc Bichaud créée des parasites qui ne se nourrissent pas mais qui peuvent paralyser la fonction de l’objet (les crayons), jusqu’à empêcher le maniement (le fusain, avec lequel il joue sur la langue puisque ce mot désigne à la fois l’arbre et l’objet qui sert à dessiner), voire l’exécute dans le cas du pauvre rosier qui doit résister à cette opération délicate mais barbare de la greffe. Jean-Luc Bichaud est, en fait, le parasite. Il parasite le geste du jardinier, non afin d’entretenir la nature (ou de la diriger) mais pour l’exécuter. Quand on parle d’exécuter, dans la champ des Beaux-Arts, c’est pour mettre en évidence le rôle du copiste.
Jean-Luc Bichaud exécute une nouvelle nature (en se basant sur les mots) et, l’exécutant, fait une nature morte. C’est sans doute pour cela qu’il met les crayons, toujours par exemple, dans des boîtes, parasitant le geste du collectionneur de papillons, tentant de préserver, pour la vue, ces créatures perverses. E.C
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Exposition au Museum d’histoire naturelle de Bourges (FR) - 1997
Jean-Luc Bichaud, le parasite
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